Sunday, October 29, 2017

Vie du Congolais moyen


La vie n'est pas toujours rose pour le Congolais moyen, c'est-à-dire pour presque 99% des Congolais. L'économie est mauvaise, il faut l'avouer. Un employé ne gagne généralement pas plus de 500 dollars par mois, et beaucoup arrivent à peine à 100 dollars. De plus, seulement 10% de la population en âge de travailler a du travail. Autrement dit, le taux de chômage est de 90%. Ce qui est unique au monde. Le prix des choses est élevé, surtout des loyers. Il n'est pas rare d'entendre quelqu'un vous dire qu'il paie 2.000 dollars ou même 5.000 dollars par mois pour son appartement ou sa maison. Les restaurants sont plus chers qu'en France et la plupart des voitures, si l'on omet les voitures d'occasion japonaises, coûtent plus cher que partout ailleurs.

En termes de maladie, le Congolais n'a pas plus de chance. L'Ébola est né le long de la rivière Ébola, au nord du pays. Le sida est également né en RDC. Il aurait d'abord affecté les singes et puis, sans que personne ne sache comment, la maladie se serait transmise à l'homme. La première personne officiellement atteinte du virus du sida est d'ailleurs un homme congolais. C'était en 1980. À part ces deux maladies catastrophiques, il y a aussi la fièvre jaune, en net déclin, et la malaria, qui tue chaque année des milliers de personnes dans le pays. Le chauffeur de notre école a succombé à cette maladie il y a quelques semaines. On est actuellement à la recherche d'un autre chauffeur... Il fait chaud à Kinshasa. Il fait chaud tous les jours de l'année. La température varie entre 28 et 38 degrés. Pour résumer les choses, 28 c'est au beau milieu de la nuit, avant que les oiseaux n'entonnent leurs beaux chants, et 38 c'est vers 14:00, quand le soleil resplendit dans le ciel immobile. Ceux qui n'ont ni climatiseurs ni ventilateurs vivent un vrai calvaire, en d'autres mots, de 11:00 à 16:00, tous les jours.

Le Congolais moyen n'aime pas "faire les pieds", c'est-à-dire marcher. Il préfère prendre la voiture pour se rendre à tel ou tel endroit, même s'il n'y a que cinq cents mètres ou même moins. Je me rappelle avoir invité une personne chez moi, à Utex. Il y a trois entrées à Utex. Elle est descendue de son taxi à l'entrée Tigo (du nom d'un opérateur téléphonique qui se trouve à proximité). Elle m'a téléphoné. Je lui ai dit que ce n'était pas la bonne entrée, mais que la bonne entrée n'était pas loin, à seulement 300 mètres de distance. Elle m'a demandé s'il fallait qu'elle prenne un taxi. Je lui ai répondu que ce n'était pas nécessaire, que 300 mètres se parcouraient en cinq minutes. Elle a dit que c'était trop, qu'elle ne pouvait pas le faire. Et elle est rentrée chez elle !! Nous ne nous sommes jamais rencontrés.

J'écris ces lignes de Brazzaville, où je passe le week-end. Cet après-midi, je marchais avec un ami congolais le long du fleuve. Nous étions ébahis de voir Kinshasa depuis l'autre rive. À ma grande surprise, Kinshasa ressemblait un peu à Danshui, une commune de Taipei que j'avais beaucoup aimé quand je vivais à Taïwan. La promenade était plus qu'agréable, avec cette vue fantastique, mais aussi peu de gens, peu de véhicules, du soleil mais pas trop (il était déjà 17:00), une brise légère et le pont exceptionnel de Brazzaville... Mais mon collègue n'a pas voulu que nous revenions à pied (2 kilomètres). Il a dit que c'était trop fatiguant. Je ne connais aucun Belge qui aurait eu cette réaction.

Last but not least, le Congolais moyen adore regarder la télévision. La première réflexion des Congolais qui viennent chez moi, c'est "Où se trouve la télé ?" Quand je leur réponds que je n'ai pas de téléviseur, que je n'en ai jamais eu et que je n'en aurai probablement jamais, ils sont surpris, pour ne pas dire horrifiés. "Mais comment est-ce possible, me demandent-ils, tu es malade, tu n'aimes pas les films ?" Je leur réponds que je ne suis pas malade, que j'aime les films, que je possède d'ailleurs plus de 100 DVDs , et les documentaires aussi, mais que je ne regarde pas n'importe quoi, que je regarde seulement ce que j'ai envie de regarder, que je regarde seulement ce qui va influencer mon esprit dans une certaine direction, que je ne veux pas laisser à d'autres ce privilège. Et ils ont l'air de ne pas comprendre. J'ai demandé à beaucoup de gens s'ils avaient la télévision. Je n'ai jamais reçu une réponse négative. En Belgique, moins de la moitié de mes amis ont une télé. Le Congolais moyen regarde la télévision au moins trois heures par jour, pour ne pas dire cinq. Pour lui, c'est un luxe, comme c'était un luxe pour les Européens nés avant les années 70.

Or, il y a des études qui prouvent que la télé a un effet abrutissant, ce n'est pas en regardant la télé qu'on va trouver du travail, ni changer le monde qui va, il faut le reconnaître, assez mal, et particulièrement la RDC. Néanmoins, il faut bien reconnaître qu'il n'est pas facile de se procurer films et documentaires à Kinshasa. Et de ce point de vue-là, moi qui ai un port d'attache en Belgique, je ne peux rien dire, je ne peux que m'incliner devant le choix du téléviseur, mais en ayant tout de même soulever quelques objections.

Sunday, October 8, 2017

Le Parc de la N'Sele

Hier, nous sommes allés visiter le parc de la N'Sele avec les collègues de l'école belge. Nous étions une soixantaine. Nous avons quitté l'école à 7:30 du matin. Trois cars du parc étaient venus nous chercher. Vers 9:00, nous sommes arrivés au parc. Il se situe après l'aéroport de N'Djili, dans la commune de Maluku. Il a 100 km2, ce qui représente à peu près la taille de la ville de Bruxelles. Nous avons été bien accueillis avec une conférence, un petit film et un déjeuner. La conférence nous a expliqué que le parc ouvrirait officiellement ses portes au public en décembre 2017, qu'il était soutenu par le Président et par un bon nombre d'hommes d'affaires congolais, que les animaux avaient été achetés à des parcs nationaux, notamment en Namibie et au Botswana, que le village qui se trouvait dans le parc national avait été déplacé, mais que les habitants avaient été relogés à l'extérieur avec des compensations et que les travailleurs du parc étaient principalement recrutés parmi les gens de ce village, que les animaux achetés étaient venus en bateau et en camion, qu'ils étaient pour l'instant tous des herbivores, entre autres une demi-douzaine de girafes, des impalas, des oryx, des buffles, des singes, des autruches, que des rhinocéros blancs et gris arriveraient bientôt, et qu'il y avait aussi une ferme, la Ferme de l'Espoir, avec des porcs, des vaches et des chevaux, qui utilisait les énergies renouvelables : biogaz (méthanisation des excréments d'animaux), éoliennes et panneaux solaires. Le petit film nous a montré le voyage des animaux de l'Afrique australe à Kinshasa ainsi que leurs premières heures dans le parc de la N'Sele. Après ça, nous avons eu une petite séance de questions-réponses et une gaufre avec un jus de fruit. Nous nous sommes alors rendus dans les cars pour découvrir le parc. Nous nous sommes arrêtés d'abord pour voir une petite ferme avec quelques ânes, puis un troupeau de buffles, ensuite un lac artificiel, avant de voir, à quelques mètres de nous, quatre girafes, à la fois curieuses et farouches. Je ne pensais pas voir un jour de girafes dans ce pays ! C'était splendide ! Un pur moment de bonheur ! Après ça, nous nous sommes arrêtés pour voir un système de canalisation d'eau, destinée aux habitants des villages avoisinants, et, après encore quelques minutes de route, nous sommes arrivés à la Ferme de l'Espoir, située à 750 mètres d'altitude. Nous avons vu les cochons, certains d'entre nous sont montés à cheval et le guide nous a expliqué le processus de méthanisation : transformer les excréments des animaux, notamment des porcs et des vaches, en méthane. Ils comptent comprimer ce méthane, le mettre en bouteille et le vendre aux Kinois, de manière à ce que ceux-ci ne coupent plus tous les arbres qui les entourent (ce qui provoque le réchauffement climatique et raréfie l'oxygène de l'air...) De là, nous sommes descendus quelque peu jusqu'à un chapiteau, juste en face d'un autre lac artificiel. C'est à cet endroit que nous avons mangé. C'était un buffet. Nous étions par dix autour de tables rondes, directement venues de Chine (il y a beaucoup de Chinois qui travaillent en RDC, ils font les routes, coupent du bois et puisent des minerais, notamment dans le sud et l'est du pays). On nous a servi de la bière belge et des sucrés, puis on nous a appelé par table pour qu'on se serve de nourriture. Il y avait des saucisses, du poulet, des amarantes, des bananes plantains, du riz et des pommes de terre en forme de croissant de lune. La vue sur le lac et la vallée était époustouflante. Avant de prendre le chemin du retour, nous sommes revenus au point de départ pour y planter un arbre. Une douzaine d'entre nous se sont attelés à cette tâche, pendant que les autres les photographiaient ou les encourageaient. C'était un beau moment ! Quel bonheur que de participer au reboisement de la planète ! Quel bonheur que de faire quelque chose pour notre mère qui nous donne chaque jour tout ce dont nous avons besoin !

Saturday, September 30, 2017

Les mots lingala en français

Les principaux mots français qui viennent du lingala sont une petite trentaine. Ce sont les mots suivants : lingala, shéguey, koulouna, sape, sapeur, tolékiste (taxi vélo), yamakasi (acrobate urbain) ; foufou, pondou, litouma, chikwangue, foumbwa, ngaï-ngaï (oseille), liboké, pili-pili ; toléka, tipoï (chaise à porteurs) ; bonobo, macaque, lésoula (singe) ; kikoso, wenzé (petit marché), zando (grand marché), makala (charbon de bois), ligablo (échoppe sur table), malemba, sandrumer, wax.

Les expressions typiques du Congo

Au Congo, les gens parlent français et une multitude d'autres langues. Parmi ces langues, les plus célèbres sont le lingala, le kikongo, le tshiluba et le swahili. Mais nous n'allons pas parler de ça dans cet article. Nous allons parler du français et plus particulièrement des expressions typiques du Congo ainsi que des termes que les Congolais affectionnent le plus. Pour des raisons de facilité, nous nous limiterons à une vingtaine.

Commençons par les mots qu'ils utilisent dans presque toutes les phrases... Ils aiment répondre à une question en commençant par "bon" : "Bon, je vais voir ce que je peux faire..." "Bon, c'est possible..." Ensuite, ils adorent le mot "même". "Donne-moi de l'argent, même 500 francs..." "Viens chez moi, même une heure..." Le "vraiment" est aussi adoré. Il est souvent utilisé seul "Vraiment !"

Pour arriver à votre "concession" (résidence), vous pouvez prendre un "taxi express" ou un "wéwa"  (taxi moto). Vous pouvez aussi marcher, mais là vous vous exposez aux "tracasseries" : les policiers et les shégueys (enfants des rues) risquent de vous demander de l'argent et les hommes de la DGM (Direction Générale des "Migrations") voudront certainement voir votre passeport, surtout si vous êtes "mundélé" (Blanc).

Dans la rue, vous pouvez voir des papas et des mamans (hommes et femmes) vaquer à de nombreuses occupations. Il y a des "cambistes", qui changent l'argent, et toutes sortes de marchands ambulants : vous pouvez leur acheter des films, des fruits, des légumes, du pain et des tas d'autres objets, comme par exemple des haltères, des ustensiles pour la cuisine ou même un aquarium. Si vous avez de la chance, vous verrez un "sapeur", c'est une personne qui s'habille de façon très stylée, généralement avec beaucoup de couleurs, notamment le rouge, le jaune et le rose.

Si vous voulez un meilleur prix pour vos légumes, vous pouvez vous aventurer au "wenzé", le Grand Marché. Après tant d'émotions, allez reprendre des forces dans un restaurant digne de vous. Je ne voudrais pas vous faire peur, mais la "facture" (la note) est souvent salée : Kinshasa est une des villes les plus chères du monde. Si vous remerciez la maman qui vous a servi, ne vous étonnez pas qu'elle vous réponde : "Ça ne dérange pas". Elle veut dire "Il n'y a pas de quoi".

Si cette serveuse est très mignonne et que vous l'invitez à vous rendre visite dans votre "parcelle", elle risque de répondre à votre comment ça va ? de bienvenue par un "Ça va un peu". C'est parce qu'elle veut que vous lui payiez son transport ! Si vous ne le faites pas, ça va la "compliquer" sérieusement et vous risquez bien de ne plus la revoir, même pas une fois.

Monday, August 21, 2017

Les activités en dehors de l'école


Certains de mes amis en Belgique disent que la vie à Kinshasa est une vie d'enfermés, de reclus, parce qu'il n'est pas possible de sortir beaucoup, en raison des nombreuses menaces extérieures. D'une certaine façon, c'est vrai, personne ne dira le contraire. Un Occidental ne peut pas se balader facilement dans les rues et se rendre où bon lui semble. Il serait arrêté plusieurs fois pour des contrôles de passeport, pour donner de l'argent à des fonctionnaires peu payés ou pas payés du tout, à des vendeurs ambulants qui sont prêts à le suivre pendant des kilomètres ou à des shégueys, des enfants des rues. La nuit, il pourrait même rencontrer des koulounas, des bandits très dangereux qui se promènent avec des machettes et n'hésitent pas à découper leurs victimes.

Certains vont peut-être m'écrire dans quelques heures ou quelques semaines pour me dire que j'exagère, que ce n'est pas là le Congo qu'ils connaissent. Eh bien ! tout ceci est authentique, je l'ai vécu moi-même ! J'ai été arrêté des dizaines de fois pour montrer passeport, visa et autres pièces d'identité ; j'ai déjà été suivi sur de très longues distances par des marchands ambulants ; presque chaque jour je suis confronté aux shégueys qui me réclament de l'argent... Mais par bonheur je n'ai jamais rencontré de koulounas. Je ne connais l'existence de ces sombres individus que par les histoires des amis, des travailleurs et de quelques articles de presse, comme par exemple de Jeune Afrique.

En dehors du travail, je sors chaque semaine quatre ou cinq fois. C'est très peu, mais je dois dire que je ne sors pas beaucoup, même dans les autres pays où j'ai vécu (avant de venir à Kinshasa, j'avais vécu six mois en Inde, six mois en Thaïlande et cinq ans à Taïwan). Chaque semaine, je vais une ou deux fois au supermarché, soit Kin Marché, une grande surface indienne, soit Shoprite, une grande surface sud-africaine. C'est plus cher qu'en Belgique ou en France, mais on y trouve pas mal de produits.

Chaque semaine, je vais une fois faire de la musculation. Je vais à l'Iron Gym. C'est à 300 mètres de Utex, sur le Boulevard, près de Sosimat. C'est 15 dollars pour une séance, mais il y a beaucoup d'appareils. Je reste en général deux à trois heures, travaillant tous les muscles d'un coup. Je fais les biceps, les triceps, les quadriceps, les mollets, les pectoraux, les dorsaux, les trapèzes, les épaules et d'autres encore ! J'y vais souvent avec mon ami et collègue William, mais il m'arrive d'y aller avec Gloria ou même seul.

Chaque semaine, je vais au restaurant une ou deux fois. Je vais une fois seul ou avec le bibliothécaire de l'école le midi, pour prendre des forces. Et une fois avec Gloria, qui est ma collègue et amie. On essaie de faire un nouveau restaurant chaque semaine. On en a fait 17 différents l'année passée. Il y en aurait une cinquante de bons, la plupart d'entre eux dans la commune de Gombé, le centre ville, downtown.

Et chaque semaine je vais au cinéma. Depuis le début de cette année 2017, il y a un cinéma à Kinshasa. Il s'appelle le Cinékin. Il se trouve au Collège Boboto, à seulement 300 mètres du Boulevard du 30 Juin, sur 24, en allant non pas vers le Lycée Prince de Liège, mais vers le nord. Il est ouvert le vendredi et le dimanche soir, et parfois même le samedi, lorsqu'il n'y a pas d'autre activité, comme des pièces de théâtre. On peut y voir les derniers films, en anglais et français. Pour moi qui suis cinéphile, ça tombe bien.

À part ça, je ne sors pratiquement pas, quoique je me sois déjà aventuré en dehors de la capitale congolaise à quelques reprises : je suis allé trois ou quatre fois dans le Bas-Congo, mais aussi à Mbandaka et à la mer, à Muanda. Je n'ai plus très envie de tenter pareille aventure, même pas pour aller à Brazzaville ou dans un coin que je n'aurais pas encore vu. Il y a trop de tracasseries... Kinshasa me convient pour l'année qui arrive, avec son cinéma, ses supermarchés, ses salles de Gym et ses nombreux restaurants.

Saturday, August 19, 2017

Deux Directrices


En mai 2015, mon ami William Thorp, professeur d'anglais au Lycée Prince de Liège de Kinshasa depuis septembre 2011, m'annonçait que le poste de professeur de français de l'école se libérait. Moi, je terminais une année pénible où j'avais donné le cours de religion dans trois établissements différents, où ma mère était morte dans des circonstances particulièrement douloureuses pour nous (après six mois de coma), et où je n'avais pour ainsi dire pas eu de copine depuis septembre de l'année précédente. Je postulai. Je fus choisi.

Au mois d'août, l'école m'envoya un billet d'avion pour la RDC et une lettre d'invitation pour que je fasse mon visa (sans lettre d'invitation, il n'est pas facile d'obtenir le visa pour le Congo). Dans l'avion, je rencontrai mon ami William Thorp et une vingtaine de mes futurs collègues. Ils étaient tous belges. Certains étaient nouveaux comme moi, d'autres avaient un ou deux ans d'ancienneté, d'autres encore étaient beaucoup plus anciens, comme Amélie Hanson, la prof de géographie.

Nous arrivâmes à Kinshasa le soir. La ville m'apparut misérable pendant plusieurs kilomètres. Ce n'est que quand nous pénétrâmes dans la commune de Gombé que je me rassérénai. Le bus Immoaf (loué par l'école pour l'occasion) me déposa à la porte de ma nouvelle résidence : La Forge. La Directrice, Mme Gilson, était au rendez-vous pour me remettre les clés de mon appartement de fonction. Elle devait avoir à peu près l'âge de ma mère, 53 ou 54 ans. Elle avait une belle couleur de peau et un très beau sourire : "Voilà, pensais-je, une année qui commence bien".

Ce que j'allais apprendre quelques jours plus tard, c'est que Mme Gilson commençait à peine : elle venait de prendre ce nouveau poste. La Directrice qui m'avait embauché, ce n'était pas elle, c'était son prédécesseur, Mme Wyart. Celle-ci avait décidé de se reposer un peu après avoir dirigé le Lycée pendant 30 ans.

Les jours et les mois passèrent. La fin de l'année scolaire arriva. Je demandai un autre logement à la Directrice pour ma deuxième année et je l'obtins. Le nouvel appartement était beaucoup plus près de l'école et possédait une piscine de 10 mètres de longueur. Ce qui n'est pas négligeable quand on sait que les piscines de Kinshasa coûtent toutes au moins 25 dollars par baignade !

Nous fûmes renvoyés chez nous pour les vacances. En septembre, nous revînmes, une fois encore avec de nouveaux collègues. Parmi eux, il y avait Gloria, professeur d'économie, Élodie, professeur de sciences pour le degré inférieur, et quelques institutrices. Je m'installais à Blue Paradise, ma nouvelle résidence, et préparais mes cours : français, anglais et philosophie, en S1, S4, S5 et S6.

L'année passa vite, Dominique Gilson fut très gentille et fit bien son travail. Elle est patiente, douce, diplomate et efficace. Elle est belle, discrète et ne s'énerve pour ainsi dire jamais. Elle aime l'école et protège toujours les enseignants. Et je pourrais continuer mes louanges pendant plusieurs heures !  Le 25 mai 2017, elle nous convoqua dans la salle des profs, pour "un petit mot". Nous nous réunîmes et elle dit, non sans émotion - elle en avait les larmes aux yeux -, "Je vais quitter mes fonctions".

On devait apprendre par la suite qu'elle voulait rejoindre sa famille à Lubumbashi, après des années et des années de séparation. Son mari avait un beau poste là-bas et son fils aussi. Ils ne pouvaient pas venir à Kin. Sa décision était donc compréhensible...

Maintenant, nous devons choisir un nouveau Directeur. Ça n'est pas facile. Au moins dix professeurs ont postulé ce samedi 2 juin. Je dis "nous", mais c'est en fait le Conseil d'Administration qui va choisir. Mr Odent est le Président de notre Conseil d'Administration. Après ces deux Directrices, Mme Wyart et Mme Gilson, celle qui m'a engagé et celle qui m'a fait passer deux très belles années, la question se pose : qui reprendra le flambeau ?

Une troisième année à Kinshasa


Beaucoup de lecteurs de ce blog m'ont signalé leur mécontentement : aurais-je été trop dur avec le Congo ? La première chose à dire : en tant qu'Européens, nous avons énormément de préjugés sur le pays. Nous ne sommes pas dupes non plus. Il suffit de lire quelques articles sur le pays pour se rendre compte que c'est le plus pauvre au monde. Ce qui étonne le plus grand nombre puisqu'il est couvert de terres fertiles et de forêts, et que son sous-sol est un des plus riches de la planète !

Ensuite, il faut reconnaître que malgré ces préjugés fondés sur une réalité indubitable il y a des points positifs. La preuve ? Mon contrat de deux ans avec le Lycée Prince de Liège était fini et je le prolonge ! Je vais faire une troisième année à Kinshasa. Quels sont ces points positifs ? En Belgique, il fait souvent gris. À Kinshasa, il fait toujours beau. En Belgique, il est difficile de trouver un emploi dans l'enseignement pour plus de quelques semaines. À Kinshasa, on peut rester autant d'années qu'on veut !

En Belgique, l'air est pollué dans plusieurs villes, comme par exemple à Bruxelles, à cause des usines qui sont très proches de la ville et très polluantes ; et il y a aussi un très grand nombre de voitures : plus de 5 millions dans le pays ! À Kinshasa, il n'y a pour ainsi dire pas d'usines et il y a très peu de voitures. L'air n'est donc pas aussi pollué qu'en Belgique. En fait, de ce point de vue-là, on n'a même pas l'impression d'être dans une métropole.

En outre, les gens sont de prime abord hostiles, mais ils ont leurs raisons. Après deux ans, j'ai maintenant plusieurs amis congolais. Ils sont presque tous fauchés (ils ne payent que très, très rarement la note), mais ils prennent soin de moi. Ils s'enquièrent de ma santé, me racontent les ragots du coin, écoutent les histoires de mes voyages avec des yeux pleins d'étoiles, se plaignent avec plus de philosophie que nous, les Belges... Ils rigolent facilement. Et je pourrais continuer pendant des heures ! L'hostilité qu'ils affichent n'est généralement pas profonde. Une fois qu'on parle avec eux, elle s'évanouit.

Par ailleurs, pour ceux que cela intéresse, les filles congolaises sont beaucoup plus avenantes que les filles belges. Je ne dis pas qu'il n'y a pas quelques filles farouches... Je ne dis pas non plus qu'il n'y a pas de filles conservatrices (il y en a des milliers ! Parfois plus conservatrices que le pape lui-même !) Mais la plupart ne se font pas prier deux fois pour sortir et faire l'amour avec vous !

Enfin, on gagne plus à Kinshasa qu'en Belgique. Ça peut être 500 € de plus chaque mois, le double ou même le triple ! Le logement est généralement payé par l'employeur : est-ce que ça arrive en Belgique ? N'est-ce pas excessivement rare ? Certains (mais pas les enseignants) ont aussi une voiture de fonction avec chauffeur.

Ça, c'était pour l'aspect positif de la ville. La liste n'est pas exhaustive, certes, je pourrais aussi parler des restaurants du centre... Et d'autres choses encore ! Mais ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui, je voulais juste me rattraper un peu. Kinshasa n'est pas une ville facile tous les jours, c'est vrai, mais pour les expatriés ce n'est quand même pas aussi sombre que je l'avais présentée dans mon article "Une ville oppressante". Et le pays n'est pas aussi sombre que Joseph Conrad l'avait imaginé dans son célèbre livre "Heart of Darkness". Non, il faut l'admettre, il y a des points positifs.