Monday, August 21, 2017

Les activités en dehors de l'école


Certains de mes amis en Belgique disent que la vie à Kinshasa est une vie d'enfermés, de reclus, parce qu'il n'est pas possible de sortir beaucoup, en raison des nombreuses menaces extérieures. D'une certaine façon, c'est vrai, personne ne dira le contraire. Un Occidental ne peut pas se balader facilement dans les rues et se rendre où bon lui semble. Il serait arrêté plusieurs fois pour des contrôles de passeport, pour donner de l'argent à des fonctionnaires peu payés ou pas payés du tout, à des vendeurs ambulants qui sont prêts à le suivre pendant des kilomètres ou à des shégueys, des enfants des rues. La nuit, il pourrait même rencontrer des koulounas, des bandits très dangereux qui se promènent avec des machettes et n'hésitent pas à découper leurs victimes.

Certains vont peut-être m'écrire dans quelques heures ou quelques semaines pour me dire que j'exagère, que ce n'est pas là le Congo qu'ils connaissent. Eh bien ! tout ceci est authentique, je l'ai vécu moi-même ! J'ai été arrêté des dizaines de fois pour montrer passeport, visa et autres pièces d'identité ; j'ai déjà été suivi sur de très longues distances par des marchands ambulants ; presque chaque jour je suis confronté aux shégueys qui me réclament de l'argent... Mais par bonheur je n'ai jamais rencontré de koulounas. Je ne connais l'existence de ces sombres individus que par les histoires des amis, des travailleurs et de quelques articles de presse, comme par exemple de Jeune Afrique.

En dehors du travail, je sors chaque semaine quatre ou cinq fois. C'est très peu, mais je dois dire que je ne sors pas beaucoup, même dans les autres pays où j'ai vécu (avant de venir à Kinshasa, j'avais vécu six mois en Inde, six mois en Thaïlande et cinq ans à Taïwan). Chaque semaine, je vais une ou deux fois au supermarché, soit Kin Marché, une grande surface indienne, soit Shoprite, une grande surface sud-africaine. C'est plus cher qu'en Belgique ou en France, mais on y trouve pas mal de produits.

Chaque semaine, je vais une fois faire de la musculation. Je vais à l'Iron Gym. C'est à 300 mètres de Utex, sur le Boulevard, près de Sosimat. C'est 15 dollars pour une séance, mais il y a beaucoup d'appareils. Je reste en général deux à trois heures, travaillant tous les muscles d'un coup. Je fais les biceps, les triceps, les quadriceps, les mollets, les pectoraux, les dorsaux, les trapèzes, les épaules et d'autres encore ! J'y vais souvent avec mon ami et collègue William, mais il m'arrive d'y aller avec Gloria ou même seul.

Chaque semaine, je vais au restaurant une ou deux fois. Je vais une fois seul ou avec le bibliothécaire de l'école le midi, pour prendre des forces. Et une fois avec Gloria, qui est ma collègue et amie. On essaie de faire un nouveau restaurant chaque semaine. On en a fait 17 différents l'année passée. Il y en aurait une cinquante de bons, la plupart d'entre eux dans la commune de Gombé, le centre ville, downtown.

Et chaque semaine je vais au cinéma. Depuis le début de cette année 2017, il y a un cinéma à Kinshasa. Il s'appelle le Cinékin. Il se trouve au Collège Boboto, à seulement 300 mètres du Boulevard du 30 Juin, sur 24, en allant non pas vers le Lycée Prince de Liège, mais vers le nord. Il est ouvert le vendredi et le dimanche soir, et parfois même le samedi, lorsqu'il n'y a pas d'autre activité, comme des pièces de théâtre. On peut y voir les derniers films, en anglais et français. Pour moi qui suis cinéphile, ça tombe bien.

À part ça, je ne sors pratiquement pas, quoique je me sois déjà aventuré en dehors de la capitale congolaise à quelques reprises : je suis allé trois ou quatre fois dans le Bas-Congo, mais aussi à Mbandaka et à la mer, à Muanda. Je n'ai plus très envie de tenter pareille aventure, même pas pour aller à Brazzaville ou dans un coin que je n'aurais pas encore vu. Il y a trop de tracasseries... Kinshasa me convient pour l'année qui arrive, avec son cinéma, ses supermarchés, ses salles de Gym et ses nombreux restaurants.

Saturday, August 19, 2017

Deux Directrices


En mai 2015, mon ami William Thorp, professeur d'anglais au Lycée Prince de Liège de Kinshasa depuis septembre 2011, m'annonçait que le poste de professeur de français de l'école se libérait. Moi, je terminais une année pénible où j'avais donné le cours de religion dans trois établissements différents, où ma mère était morte dans des circonstances particulièrement douloureuses pour nous (après six mois de coma), et où je n'avais pour ainsi dire pas eu de copine depuis septembre de l'année précédente. Je postulai. Je fus choisi.

Au mois d'août, l'école m'envoya un billet d'avion pour la RDC et une lettre d'invitation pour que je fasse mon visa (sans lettre d'invitation, il n'est pas facile d'obtenir le visa pour le Congo). Dans l'avion, je rencontrai mon ami William Thorp et une vingtaine de mes futurs collègues. Ils étaient tous belges. Certains étaient nouveaux comme moi, d'autres avaient un ou deux ans d'ancienneté, d'autres encore étaient beaucoup plus anciens, comme Amélie Hanson, la prof de géographie.

Nous arrivâmes à Kinshasa le soir. La ville m'apparut misérable pendant plusieurs kilomètres. Ce n'est que quand nous pénétrâmes dans la commune de Gombé que je me rassérénai. Le bus Immoaf (loué par l'école pour l'occasion) me déposa à la porte de ma nouvelle résidence : La Forge. La Directrice, Mme Gilson, était au rendez-vous pour me remettre les clés de mon appartement de fonction. Elle devait avoir à peu près l'âge de ma mère, 53 ou 54 ans. Elle avait une belle couleur de peau et un très beau sourire : "Voilà, pensais-je, une année qui commence bien".

Ce que j'allais apprendre quelques jours plus tard, c'est que Mme Gilson commençait à peine : elle venait de prendre ce nouveau poste. La Directrice qui m'avait embauché, ce n'était pas elle, c'était son prédécesseur, Mme Wyart. Celle-ci avait décidé de se reposer un peu après avoir dirigé le Lycée pendant 30 ans.

Les jours et les mois passèrent. La fin de l'année scolaire arriva. Je demandai un autre logement à la Directrice pour ma deuxième année et je l'obtins. Le nouvel appartement était beaucoup plus près de l'école et possédait une piscine de 10 mètres de longueur. Ce qui n'est pas négligeable quand on sait que les piscines de Kinshasa coûtent toutes au moins 25 dollars par baignade !

Nous fûmes renvoyés chez nous pour les vacances. En septembre, nous revînmes, une fois encore avec de nouveaux collègues. Parmi eux, il y avait Gloria, professeur d'économie, Élodie, professeur de sciences pour le degré inférieur, et quelques institutrices. Je m'installais à Blue Paradise, ma nouvelle résidence, et préparais mes cours : français, anglais et philosophie, en S1, S4, S5 et S6.

L'année passa vite, Dominique Gilson fut très gentille et fit bien son travail. Elle est patiente, douce, diplomate et efficace. Elle est belle, discrète et ne s'énerve pour ainsi dire jamais. Elle aime l'école et protège toujours les enseignants. Et je pourrais continuer mes louanges pendant plusieurs heures !  Le 25 mai 2017, elle nous convoqua dans la salle des profs, pour "un petit mot". Nous nous réunîmes et elle dit, non sans émotion - elle en avait les larmes aux yeux -, "Je vais quitter mes fonctions".

On devait apprendre par la suite qu'elle voulait rejoindre sa famille à Lubumbashi, après des années et des années de séparation. Son mari avait un beau poste là-bas et son fils aussi. Ils ne pouvaient pas venir à Kin. Sa décision était donc compréhensible...

Maintenant, nous devons choisir un nouveau Directeur. Ça n'est pas facile. Au moins dix professeurs ont postulé ce samedi 2 juin. Je dis "nous", mais c'est en fait le Conseil d'Administration qui va choisir. Mr Odent est le Président de notre Conseil d'Administration. Après ces deux Directrices, Mme Wyart et Mme Gilson, celle qui m'a engagé et celle qui m'a fait passer deux très belles années, la question se pose : qui reprendra le flambeau ?

Une troisième année à Kinshasa


Beaucoup de lecteurs de ce blog m'ont signalé leur mécontentement : aurais-je été trop dur avec le Congo ? La première chose à dire : en tant qu'Européens, nous avons énormément de préjugés sur le pays. Nous ne sommes pas dupes non plus. Il suffit de lire quelques articles sur le pays pour se rendre compte que c'est le plus pauvre au monde. Ce qui étonne le plus grand nombre puisqu'il est couvert de terres fertiles et de forêts, et que son sous-sol est un des plus riches de la planète !

Ensuite, il faut reconnaître que malgré ces préjugés fondés sur une réalité indubitable il y a des points positifs. La preuve ? Mon contrat de deux ans avec le Lycée Prince de Liège était fini et je le prolonge ! Je vais faire une troisième année à Kinshasa. Quels sont ces points positifs ? En Belgique, il fait souvent gris. À Kinshasa, il fait toujours beau. En Belgique, il est difficile de trouver un emploi dans l'enseignement pour plus de quelques semaines. À Kinshasa, on peut rester autant d'années qu'on veut !

En Belgique, l'air est pollué dans plusieurs villes, comme par exemple à Bruxelles, à cause des usines qui sont très proches de la ville et très polluantes ; et il y a aussi un très grand nombre de voitures : plus de 5 millions dans le pays ! À Kinshasa, il n'y a pour ainsi dire pas d'usines et il y a très peu de voitures. L'air n'est donc pas aussi pollué qu'en Belgique. En fait, de ce point de vue-là, on n'a même pas l'impression d'être dans une métropole.

En outre, les gens sont de prime abord hostiles, mais ils ont leurs raisons. Après deux ans, j'ai maintenant plusieurs amis congolais. Ils sont presque tous fauchés (ils ne payent que très, très rarement la note), mais ils prennent soin de moi. Ils s'enquièrent de ma santé, me racontent les ragots du coin, écoutent les histoires de mes voyages avec des yeux pleins d'étoiles, se plaignent avec plus de philosophie que nous, les Belges... Ils rigolent facilement. Et je pourrais continuer pendant des heures ! L'hostilité qu'ils affichent n'est généralement pas profonde. Une fois qu'on parle avec eux, elle s'évanouit.

Par ailleurs, pour ceux que cela intéresse, les filles congolaises sont beaucoup plus avenantes que les filles belges. Je ne dis pas qu'il n'y a pas quelques filles farouches... Je ne dis pas non plus qu'il n'y a pas de filles conservatrices (il y en a des milliers ! Parfois plus conservatrices que le pape lui-même !) Mais la plupart ne se font pas prier deux fois pour sortir et faire l'amour avec vous !

Enfin, on gagne plus à Kinshasa qu'en Belgique. Ça peut être 500 € de plus chaque mois, le double ou même le triple ! Le logement est généralement payé par l'employeur : est-ce que ça arrive en Belgique ? N'est-ce pas excessivement rare ? Certains (mais pas les enseignants) ont aussi une voiture de fonction avec chauffeur.

Ça, c'était pour l'aspect positif de la ville. La liste n'est pas exhaustive, certes, je pourrais aussi parler des restaurants du centre... Et d'autres choses encore ! Mais ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui, je voulais juste me rattraper un peu. Kinshasa n'est pas une ville facile tous les jours, c'est vrai, mais pour les expatriés ce n'est quand même pas aussi sombre que je l'avais présentée dans mon article "Une ville oppressante". Et le pays n'est pas aussi sombre que Joseph Conrad l'avait imaginé dans son célèbre livre "Heart of Darkness". Non, il faut l'admettre, il y a des points positifs.